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Klapisch avocat du ciné français

Démarré par Señorita, 07 Novembre 2007 à 19:49:48

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Señorita

Voici un article paru dans le Monde. Rien à dire si ce n'est que j'APPROUVE entièrement et vive Cédric !  :clap: :clap:
Ah vi, le passage en gras c'est celui que je trouve magnifique...


Monsieur Sarkozy, vous demandiez récemment à Mme Albanel, ministre de la culture et de la communication, de relancer la démocratisation culturelle en la définissant ainsi : "La démocratisation culturelle, c'est veiller à ce que les aides publiques à la création favorisent une offre répondant aux attentes du public." Cette petite phrase anodine cache en fait le drame qui touche depuis quelques années le secteur du cinéma.



Il y a dans la culture, comme dans le rugby, des fondamentaux... Et ce n'est pas seulement à vous que je m'adresse ici, mais à tous ceux qui font aveuglément confiance aux "attentes du public", sans mesurer à quel point la diversité culturelle est ainsi menacée.

Vous vous inquiétez avec justesse d'une maladie française qui s'appelle l'élitisme. C'est vrai, on a souvent reproché au cinéma français d'être snob, prétentieux, intello, "prise de tête", et je dois vous avouer que je l'ai aussi beaucoup pensé.

C'est même assez étrange pour moi de m'être battu pendant des années pour affirmer la nécessité d'un cinéma populaire et de me retrouver à défendre aujourd'hui un cinéma non pas élitiste mais "culturel". J'ai toujours pensé qu'on pouvait faire des films commerciaux en refusant de prendre les spectateurs pour des imbéciles. Je crois à une "troisième voie" qui refuse la sempiternelle opposition : film d'auteur, film commercial.

Un député européen me demandait récemment : "Pourquoi n'y a-t-il pas d'Harry Potter européen ?" Est-ce réellement ce que vous attendez tous ? Est-ce là votre seul rêve culturel : un film absolument sans auteur et sans saveur dont la seule valeur est d'être un succès ? Je comprends que, dans d'autres domaines, vous soyez en attente de résultats industriels. Mais, dans le cinéma, nous préférerions que les personnalités politiques nous incitent à être originaux ou audacieux, plutôt qu'à faire du chiffre.

Aujourd'hui, ce qui nous inquiète, nous, réalisateurs, c'est d'assister à la lente et insidieuse disparition de ce qui pourrait surprendre ou éveiller le public. Il y a de fait un appauvrissement culturel dans notre pays et les élites n'envisagent même plus de travailler à le ralentir. Je m'inscris ici dans la même démarche que Pascale Ferran aux César. Avec la Société des réalisateurs de films (SRF), nous remarquons, comme elle, à quel point la situation se dégrade rapidement, et il devient urgent de réagir.

Si notre métier contient une part de rêve, être "réalisateur", au sens littéral, c'est rendre réels ces rêves. Si nous aidons les spectateurs à fuir la réalité avec nos images, notre but est aussi que ces images les renvoient autrement à la réalité. Le cinéma doit sans doute divertir, mais il doit aussi avertir. Un réalisateur doit plus aider les gens à se "tourner vers" qu'à se "détourner". Il ne doit pas "endormir", mais donner à voir, informer, éveiller la curiosité.

Woody Allen m'a averti des paradoxes du couple. Federico Fellini m'a éclairé sur les mystères de la masculinité, Jane Campion sur les mystères de la féminité. Jean Renoir m'a parlé de ce qui dépasse les classes sociales, Charlie Chaplin de ce qui n'échappera jamais aux classes sociales, Abbas Kiarostami de l'intelligence contenue dans la simplicité, Jean-Luc Godard de la simplicité contenue dans l'intelligence, Martin Scorsese de la beauté de la violence, Alain Resnais de l'horreur de la violence, Pedro Almodovar du fantasme contenu dans le réel, Alfred Hitchcock du réel contenu dans le fantasme...

Tous ces cinéastes m'ont aidé à vivre. Ils m'ont autant diverti qu'averti. Ils m'ont aidé à aborder des problèmes quotidiens sans me donner de leçons. Ils m'ont donné des éléments de réflexion sans que je sache que c'était de la réflexion. Ce "reflet" du monde n'est pas juste un effet de miroir, c'est ce qu'on appelle un regard. Bizarrement, plus ce regard est personnel, plus il sera universel. Moins il sera consensuel et formaté, plus il sera général. La culture a ceci de particulier qu'elle n'est pas conçue a priori pour satisfaire le public, même si au fond elle s'adresse à tous. On pourrait croire qu'avec Internet il y aura toujours plus d'espaces pour plus de films. Non ! Paradoxalement, plus on ouvre de fenêtres et plus les portes se ferment. La multiplication des espaces de diffusion accentue la logique de l'Audimat et l'omniprésence des block-busters. Le résultat : un formatage sans précédent des oeuvres.

En matière d'environnement, on sait aujourd'hui que seule l'audace politique peut infléchir les effets pervers de l'industrie. En matière culturelle, il devient indispensable de contrebalancer les effets pervers du marché. Nous ne voulons pas une culture assistée, nous voulons une culture protégée.

Je me souviens de La Voce della Luna, le dernier film de Federico Fellini. Il y mettait en garde l'Italie contre les méfaits de l'acculturation, et notamment le rôle destructeur et abêtissant de la télévision. Aujourd'hui, Fellini est mort, et avec lui Pasolini, Visconti, Antonioni, Rossellini, De Sica et bien d'autres. Et avec eux, quelque chose d'essentiel a disparu en Italie. La cinématographie italienne des années 1940 à 1980 était diversifiée, il y avait aussi bien des grands films populaires que des films difficiles. Ce qui est mort là-bas, ce n'est pas le talent, ce n'est pas une époque... ce qui est mort, c'est la politique qui a déserté le terrain de la culture au profit du divertissement et du populisme les plus mercantiles.

Il est difficile d'inventer une politique qui aide la création, mais le manque d'idées politiques mène à l'acculturation. Se borner à laisser faire le marché en matière de culture, c'est tuer la culture.
Le problème c'est que tu me parles avec des mots et moi je te regarde avec des sentiments... [Pierrot le fou]

Suraj974

- Avant de vouloir changer le monde commence par te changer toi même -I am fluent in Sarcarsm

Meldon

On va pas demander aux politique de faire des films? Rassurez moi?  :sweat:  :think:
La question est donc "devons-nous fonctionnarisez le cinéma français?" parce que pour tout le reste je suis d'accord avec le monsieur, le cinéma de qualité c'est mieux que le cinéma décérébré mais du cinéma de qualité peut être divertissant, on est pas obligé de faire du cinéma prise de tête intellectualisant. Je pense qu'un film comme "Ne le dis à personne" est un bon film et que le cinéma français vaut autant que le cinéma américain sans devoir tomber dans le transportarisme ou le taxiarisme. :mrgreen:
Lebnan YA Habib El 3omr (Liban, mon seul amour)

Didi

#3
Citation de: Meldon le 10 Novembre 2007 à 08:23:18
On va pas demander aux politique de faire des films? Rassurez moi?  :sweat:  :think:
La question est donc "devons-nous fonctionnarisez le cinéma français?" parce que pour tout le reste je suis d'accord avec le monsieur, le cinéma de qualité c'est mieux que le cinéma décérébré mais du cinéma de qualité peut être divertissant, on est pas obligé de faire du cinéma prise de tête intellectualisant. Je pense qu'un film comme "Ne le dis à personne" est un bon film et que le cinéma français vaut autant que le cinéma américain sans devoir tomber dans le transportarisme ou le taxiarisme. :mrgreen:
Ce n'est pas du tout ce que  Klapisch a dit. La question n'est pas du tout "devons-nous fonctionnariser le cinéma français", arrête d'être aussi réducteur Meldon (ton discours de droite de base m'insupporte parfois  :mrgreen: :mrgreen: ) !!! Mais on peut peut-être aider, financièrement par exemple (sous différentes formes par obligatoirement des subventions) les cinémas qui font l'effort de distribuer d'autres films que le blockbuster standard. Ça ne t'est jamais arrivé de vouloir voir un film (moi ça m'est arrivé avec Joyeuses funérailles) et de ne pas pouvoir parce qu'il n'était diffusé qu'à très peu de copies? Par exemple en banlieue, nous avons beaucoup de multiplexes qui font exclusivement du fric avec les mastodontes du moment et peu de cinéma Arts et essais où l'on peut voir autre chose. Parfois, je n'arrive pas à voir un film parce qu'il n'est distribué qu'à Paris et que je n'ai pas le temps!
Justement Klapisch défend une troisième voie, il n'est pas du tout pour un cinéma élitiste, d'ailleurs il l'a prouvé en réalisant de très bonnes comédies comme L'auberge espagnole, loin de l'humour gras et graveleux d'un Camping par exemple ou de l'humour débile d'un Brice de Nice. Et puis il faut arrêter un peu les clichés et aller au cinéma  :D :D Bien sûr que "Ne le dis à personne" est un bon polar, bien ficelé du point de vue scénario et bien réalisé, mais arrêtons aussi de généraliser par rapport au cinéma américain où il y a de tout.
Quant au cinéma élitiste, il n'est pas forcément chiant et prise de tête (moi j'aime bien réfléchir aussi quand je vois des films), mais il peut mettre très mal à l'aise (par exemple 4 mois, 3 semaines et 2 jours, formaté pour réussir à Cannes, eh oui comme on peut formater dans le cinéma commercial, on peut le faire aussi pour le cinéma d'auteur, c'est le "faire genre" dont parle Lalita)

Meldon

#4
N'ayant aucune connaissance du système de financement publique du cinéma je me garderais bien de me lancer sur ce terrain glissant. :mrgreen: En tout cas je crois me souvenir que les média français ont obligation de produire un pourcentage X des productions qu'ils diffusent. Je pense que c'est déjà pas mal mais je pense que les propositions les plus intéressantes sauraient retenir l'attention des décisionnaires. Évidemment cela n'engage que moi et il est peut être plus simple de se contenter d'écrire au président pour lui demander de faire quelque chose (toujours se demander ce que ton pays peut faire pour toi et pas ce que tu peux faire pour ton pays  :mrgreen: ). Le problème restera que l'on ne peut pas forcer les gens à regarder les films qu'ils ne veulent pas voir donc il faut savoir séduire le public tout en conservant le message que l'on veut faire passer.

Pour émettre une critique au cinéma français "chiant", attention je ne suis pas critique de cinéma à télérama, j'ai surtout l'impression d'en plus d'être un peu dur d'approche au niveau du sujet il est souvent triste au niveau du traitement. Il ne se passe rien, c'est long, on se demande pourquoi on est venu au cinoche. C'est l'image que j'ai du cinéma d'auteur français. Les nordiques ont souvent des sujets zarb mais avec une approche visuelle séduisante pleine d'allégorie. Bon je le répète mes références sont limitées mais je persiste à penser qu'on peut faire différent et novateur en France sans tomber dans l'élitisme mais le sujet est vaste alors bonne journée. :mrgreen:
Lebnan YA Habib El 3omr (Liban, mon seul amour)

Didi

#5
Le problème ne concerne pas uniquement la production, Meldon, mais la distribution. Par ailleurs, on ne peut pas forcer des gens à regarder un film, mais il ne faut pas empêcher les gens de voir des films qu'ils ont envie de voir parce qu'ils sont peu ou mal distribués, car écrasés par d'autres mastodontes. Par exemple, si Caramel n'avait pas été soutenu par la fédération des cinémas d'Arts et essais, il n'aurait pas bénéficié d'une bonne distribution et n'aurait pas connu le succès relatif qu'il a eu grâce au bouche à oreille. Salvador, film qui avait connu un parcours similaire à Cannes, dans la même catégorie (mais l'année précédente), n'a pas eu le même sort. Il a été présenté à quelques festivals mais n'a jamais été exploité en salle. Et comme ça, je peux t'en citer plusieurs.
Je crois qu'il faut vraiment aider les distributeurs audacieux type "Pyramides" ou similaire, des petits cinémas, comme le Brady qui diffuse  toujours Caramel par exemple, qui a gardé à l'affiche Water ou Shoker Bali pendant des mois, sous peine d'avoir un paysage cinématographique bien morne.
Tout cinéma d'auteur, qu'il soit français, suédois, espagnol ou autre n'est pas forcément chiant. Intellectuel ne signifie pas chiant, ça signifie une autre façon de faire du cinéma, d'autres choix narratifs, esthétiques, etc. Mais ce qui est important, c'est la diversité et le fait de POUVOIR choisir ce que l'on veut voir.

Par ailleurs, pour les questions culturelles, je ne compterai pas, mais pas du tout sur ce président (que je trouve vide intellectuellement, ce n'est pas une question poltique, Chirac, que je ne portais pas dans mon cœur était d'une autre trempe d'un point de vue culturel, d'ailleurs à mes yeux, le plus beau succès de ses mandats calamiteux politiquement est le Musée du Quai Branly) et je clos la question ici car je n'ai pas envie de polémiquer avec toi.

Meldon

Citation de: Didi le 12 Novembre 2007 à 18:54:10
Je crois qu'il faut vraiment aider les distributeurs audacieux type "Pyramides" ou similaire, des petits cinémas, comme le Brady qui diffuse  toujours Caramel par exemple, qui a gardé à l'affiche Water ou Shoker Bali pendant des mois, sous peine d'avoir un paysage cinématographique bien morne.

Là je suis on ne peut plus d'accord avec toi.  ;) (ce qui ne changera pas grand chose vu mon influence dans le milieu du cinéma lol)
Lebnan YA Habib El 3omr (Liban, mon seul amour)

Señorita

Une mesure qui va dans le sens de ce que disait Klapisch

http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18412225.html

PS: Meldon, je sais pas quels films français tu vois mais tu dois être très mal conseillé  :mrgreen:
Le problème c'est que tu me parles avec des mots et moi je te regarde avec des sentiments... [Pierrot le fou]